
Axelle décide ce matin qu’il est temps de présenter sa petite famille à Honorine. Entre les hautes herbes jaunies et sèches de la campagne elle se faufile suivie de sa petite troupe très chahuteuse. Ils sont en terre inconnue, ils devraient déjà apprendre à se déplacer avec la plus grande prudence tant les dangers sont présents et multiples, mais ces quatre têtes brûlées ne pensent qu’à s’amuser. Soudain un grand charivari la stoppe dans sa progression. Elle intime l’ordre à ses garnements de cesser tout de suite leurs débordements et de se cacher sous la grosse souche qui borde le chemin. Ils doivent attendre là qu’elle aille en éclaireuse à la Ferme de l’Espoir.
Dans la cour de celle-ci elle voit Honorine donner à manger à ses ouailles tout en papotant avec elles, comme à son habitude. Elles sont toutes là à la suivre comme des petits chiennes, avides de ses attentions, complètement dépendantes d’elle. Même Le Gamin et le Papet sont là à remuer de la queue à la décrocher et tomber tant ils la secouent dans tous les sens. Axelle se cache derrière le grand tonneau qui reçoit l’eau de pluie les jours où celle-ci dégouline du toit de l’étable. Quand le ciel veut bien laisser ce trésor tomber et désaltérer la campagne ; ce qui n’est pas le cas depuis quelques semaines. Malheureusement la sècheresse et la canicule sévissent et, d’ailleurs, c’est ce qui l’amène à venir chez l’humaine.
C’est avec une certaine nostalgie qu’Axelle se rappelle ces moments partagés avec la Honorine et son monde qui, elle doit reconnaître n’est pas le sien.
C’était il y a deux cycles de saisons, elle était alors très jeune et vivait encore avec son frère et sa mère, loin de cet endroit. Il y avait eu cette nuit-là un terrible orage avec des pluies diluviennes qui emportaient tout sur leur passage. L’eau avait pénétré, envahi leur refuge et les avait emportés loin en les bousculant et les charriant comme de vulgaires fétus de paille. Elle ne s’était pas noyée car elle avait eu la chance de se prendre dans une grosse branche à demi submergée. Elle avait pu s’agripper à celle-ci et grimper dessus pour s’extirper du torrent boueux. Épuisée et blessée elle s’était affalée sur un gros rocher. Attristée et apeurée elle avait constaté qu’elle était seule au monde, son frère et sa mère avaient disparus. Elle avait alors fermé les yeux et s’était endormie tout en grelottant de froid et de peur. Le lendemain matin elle s’était réveillée sous la douce caresse du soleil et avait senti de tendres cajoleries… Elle crut que sa mère l’avait retrouvée, mais en ouvrant ses yeux elle découvrit un étrange personnage. Celui-ci la pris précautionneusement dans ses bras, la déposa dans un panier puis l’emmitoufla dans un chaud tissu pour la réchauffer. C’était Honorine qui essayait de la réconforter en lui parlant :
- Té ! Vé ! Une petite renarde ! Peuchère, elle est toute estourbie, escagassée et à demie négue avec toute l’eau tombée cette nuit. Ma caillounette, je vais t’apporter à la ferme et essayer de te refaire une santé, pauvre Pitchoune.
Cette humaine au grand cœur l’avait soignée, l’avait nourrie et permis de vivre parmi cette drôle de compagnie. Honorine l’avait prénommée Axelle en l’honneur d’une certaine chanteuse, paraît-il ; elle s’était fait des copains et des copines mais point d’amis. Sa grande timidité et son caractère indépendant l’empêchaient de se lier trop intimement à ce monde aux us et coutumes déconcertants. Les deux seuls qui avaient su se faire accepter et dont elle regrettait parfois leur présence dans sa nouvelle vie étaient Le Papet et Le Gamin. Et encore… Certains jours l’affection débordante de ce dernier la faisait devenir « chèvre » comme disait Honorine quand Le feignant de Péire traînait au lit.
- Wouaf ! Wouaf ! S’écrient Le Gamin et Le Papet qui l’avaient flairée. Les voilà accourant vers l’étable, le nez au vent et la queue toute frétillante de bonheur.
- Tu parles d’une arrivée discrète ! Quels fadas ces cabots ! Ils vont ameuter toute la ferme et ces folasses de galines avec leurs caquetages … Elles mériteraient que… Non ! j’ai promis de ne jamais toucher aux emplumés de Maîtresse Honorine. Oh ! Couillons ! Arrêtez de me léchouiller ! J’aime pas vos odeurs ! T’en as pas marre de faire tout se tintouin Le Gamin glapit Axelle.
- Wouaf ! Wouaf ! Je suis content de te voir ma quique. Honorine, Hororine, viens voir qui va là !
- Axelle ? C’est bien toi Axelle ! T’es revenue voir ton Honorine ? J’avais bien deviné que c’était toi qui rôdait le soir près de la ferme. Le Gamin t’appelait plus qu’il ne donnait l’alerte mais La Clareta en bonne sentinelle a plus d’une fois réveillé Le Péire. Je craignais qu’il n’utilise sa vieille pétoire, ma toute belle. Viens avec moi que je te donne quelques œufs à déguster, cela te fera plus de bien à toi qu’au Victorin le Jobastre, le garde Champêtre. Mais que vois-je là ? Qui s’amène là. ? Tu as eu des bébés, quatre !!! Axelle, adious qu’ils sont mignons !!! T’inquiète, je ne vais pas les toucher, je sais que tu n’aimes pas les embrassades alors tes petits doivent être un peu sauvages … Diou qu’ils sont trognons avec leur frimousse pointue et leurs petites oreilles bien droites. Les quatre mousquetaires, Aramis, Athos, d’Artagnan et Porthos. Euh ! en espérant qu’ils soient des mâles, sinon je vais devoir trouver autre chose s’esclaffe Honorine fière de sa dernière trouvaille.
- Fan de chichourle que vois-je là ? tonne une voix qui paralyse La Honorine, mais aussi Le Gamin et le Papet. Qu’est-ce que tu me caches encore Ma Douce ?
- Euh ! Rien… Viens plutôt par-là, voir la Carlotta et la Catarina, il me semble qu’elles ne sont pas bien s’exclame Honorine en essayant d’entraîner Le Péire vers l’enclos des deux chèvres.
- Bè non ! Elles vont très bien, entends les bêler pour me dire bonjour… On n’entend qu’elles. Oh ! Fan des pieds… Mais c’est Axelle ! Eh bé ! Ma belle, t’es revenue à la maison. Je me languissais de toi Ma Rouquine. Tu nous as ramené tes p’tiots. Tu sais que Le Péire va s’occuper de vous. Honorine, il faut leur donner à manger à ces pitchounets, ils sont tout stoquefiches. Des croquettes de nos loulous avec quelques jaunes d’œufs, rien de mieux pour les requinquer annonce Péire au grand étonnement d’Honorine.