
En ce matin brumeux du 23 octobre, Georges s’est réveillé, comme tous les jours, au son du « Cocorico » agressif de Victorin le coq de l‘Arche de l’Espoir. Dès potron-minet, à l’heure où la campagne bleuit ce misérable et sémillant emplumé vocalise. Dans la cour sur le tas de fumier fumant, le chef enflammé, l’altier panache claquant au vent, ce haïssable réveil matin s’égosille. Tel un écorché vif, il vous retourne les sangs, vous agace l’esprit et vous fait maudire la terre entière. Même notre Honorine et Peire, les propriétaires de la fameuse « Arche de l‘Espoir » où vit cet emplumé.
Georges, le voisin de ces derniers, se lève en pestant contre eux. Comment avaient-ils eu l’inacceptable idée d’aménager, à quelques mètres de sa maison, une ferme pédagogique avec l’accord de Monsieur le Maire ?
Quelle gageure ! Cette nuit, ce maudit volatile avec son gouale horripilant avait mis en émoi les résidents du refuge. Papet et Gamin, les cabots de la ferme avaient, à leur tour, donné de la voix. Puis, l’insupportable Clareta, l’oie, s’était jointe à eux pour un insoutenable tintamarre. Heureusement cela avait alerté Peire. Par la lucarne du grenier, Georges avait eu la surprise de voir ce dernier vêtu d’oripeaux sortir de la souillarde. Puis, il avait parcouru la cour comme un beau diable pour calmer tant bien que mal tout ce ramdam. Quelle nuit !
C’est en ronchonnant un peu plus que de coutume que Georges, fatigué de sa nuit blanche traîne les pieds pour se rendre à la cuisine. Son petit déjeuner, préparé par sa Solange, l’attend. Son petit « bijou » comme il aime l’appeler dans ses moments de tendresse.
Celle-ci d’humeur toujours joyeuse chante à tue-tête des tubes des années 80. Elle l’accueille avec un tendre sourire. Elle s’affale dans son rocking-chair avec son éternel tricot sur les genoux et lui demande :
- Bonjour mon Georges, bien dormi ?
- Pfeu ! Ce maudit coq ! Cette satanée basse-cour ! Mais regarde-moi ce temps grommelle-t-il en regardant par la fenêtre près du bahut. Mais où est-il ? Vois ce brouillard ! Cette journée, comme les précédentes, commence bien mal. Cette alacrité à m’empêcher de faire la grasse matinée de Victorin m‘exaspère. Ce brouillard à couper au couteau et ce froid m’enlèvent toute envie de sortir de chez moi… Mais où est-il ? Je l’ai laissé sur le bahut hier soir, avant d’aller au lit. Je ne le vois pas… Solange, arrête de vouloir tout ranger, bougonne Georges.
Georges a pris de drôles de manies depuis qu’il est à la retraite, pense Solange en regardant son époux fureter convulsivement dans les tiroirs du meuble. Il est devenu bien ronchon, il a perdu toute son alacrité qui faisait son charme. Elle sourit tout en suivant ses gestes rageurs. Elle s’avoue aimer le taquiner en se moquant de ses nouvelles habitudes.
Dès son arrivée dans la cuisine, elle a vu son Georges s’en saisit tendrement tel un bijou inestimable. Il le caresse puis il se saisit de son crayon de papier pour y poser ses mots. Etrange… Respectant cette intimité, elle ne l’avait jamais questionné. Ce matin, elle le trouve particulièrement grincheux et maniaque à râler sur sa manie de tout ranger… Elle veut le chahuter un peu.
- Il n’est pas bon de vieillir, mon Georges. Qu’as-tu fait cette nuit ? Pourquoi t’être vêtu de mes oripeaux pour vaquer au grenier ? Je les avais rangés dans ces sacs pour les donner à Honorine. Tu as été dérangé ? Aurais-tu trop mangé de mon excellent pouding ? Une petite indigestion ? Ce sacré tintamarre cette nuit à l’Arche de l’Espoir t’a réveillé… et te voilà bien teigneux et tatillon ce matin, mon Georges.
- Je ne suis ni teigneux, ni tatillon, je suis simplement observateur, réaliste et méticuleux, t’en déplaise…Tu entends bien ce diable de coq tous les matins ? Il me réveille à l’aube. Tu vois bien ce brouillard, il est si épais qu’on ne voit plus le bout de notre allée de rosiers. Et cette température qui ne fait que baisser en même temps que notre pluviomètre se remplit sans commune mesure… Croire à une vie calme à la campagne ? Quelle gageure ! Est-ce bien normal ? Mais où est-il ? Il faut que je note…
- Que tu notes quoi et pourquoi ? Quelle nouvelle manie mon pauvre Georges que de vouloir tout noter. Est-ce bien utile de relever la température qu’il fait tous les matins ? Est-ce bien nécessaire d’enregistrer la quantité d’eau tombée en une journée ? Pourquoi consigner l’heure de ton réveil et…
- Je fais ce que je veux, ma chère. J’ai assez obéi à mon patron toute ma vie… Maintenant que je suis à la retraite, je fais ce qu’il me plait. Et s’il me plait de noter, je note ! Où l’as-tu mis ? Où est mon petit…
- Allons, allons mon Georges, tout doux. Que cherches-tu aussi fiévreusement ? Insiste Solange en minaudant.
- Je cherche mon petit carnet, celui dans lequel je note tout ce qui m’est important. Et qui ne te regarde pas.
- Hum, hum que de mystère… Ton petit carnet sur lequel tu gribouilles du matin jusqu’au soir ? Celui-ci, dit-elle en sortant de sa poche du tablier, un petit carnet relié de cuir noir dans lequel est prisonnier un fin crayon de papier.
- Donne-le… supplie Georges en avançant vers son épouse qui fait un pas en arrière pour maintenir une certaine distance entre eux.
- Allons, allons mon Georges, ton petit carnet pourrait te servir à autre chose que de noter les désagréments et les petits riens qui te contrarient… Ton petit carnet, si secret, pourrait bien au contraire raconter les jolies choses de ta vie de retraité. Crois-moi, mon cher ami, tu y gagnerais en bonne humeur, et moi, je gagnerais, un bien plus charmant compagnon.
Avant de rendre le petit carnet à Georges, Solange décide de taquiner un peu plus celui-ci. Elle l’ouvre à la page où un ruban rouge marque la journée du 22 octobre. Elle y lit ces quelques lignes :
« Ma sémillante et fidèle Solange,
A tout jamais mon ange.
Du matin jusqu’au soir je chante tes louanges ;
Pour rien au monde je ne voudrais que tu changes. »
- Ce que tu peux être exaspérante, ma chère Solange… » bougonne Georges, soudain gêné et ému, baissant les yeux sur son café pour fuir le regard amoureusement taquin de son épouse.
Consignes d’écriture : Intégrer les mots suivants dans le texte : sémillante, gageure, tintamarre, oripeaux, bijou et alacrité. + Parler d’un petit carnet.