
Je suis de garde ce soir, enfin quand je dis de garde c’est un bien grand mot. Je suis là, mais je ne fais rien. Je fais acte de présence. On nous a même installé un lit pour que le permanent puisse se reposer. Et ça, je sais le faire ! Souvent le sommeil me tombe dessus et je ne me réveille que pour rentrer à la maison au petit matin. Mais parfois, j’en profite pour écrire. Eh oui, j’aime poser mes mots pour quelques poèmes, quelques débuts d’histoires que je finis rarement.
Hier, ma nuit fut mouvementée, non pas en sortie pour régler des conflits mais en rêves entrecoupés de réveils brutaux. Aussi j’ai décidé de me lever et de mettre noir sur blanc toutes ces idées abracadabrantes qui perturbaient mon sommeil. Il fallait que je croque, en urgence, cette héroïne avant qu’elle ne s’échappe dans les méandres de mon cerveau et disparaisse à tout jamais. Mes doigts crispés sur mon crayon de papier étaient à la limite de la crampe.
Stella, tel était le nom de mon personnage principal, apparaissait à mes yeux ébahis.
Il est sept heures. Fin de la permanence. L’équipe de jour arrive pour la relève :
- Salut ! Rien à signaler Larousse ? Me demande Jean Luc, mon collègue
- R.A. S. Tout va bien madame la Marquise, si j’ose dire… lui répondis-je avec une bourrade amicale dans le dos. Bonne journée…
- Tu n’as pas oublié de rendre compte au capitaine…
- Non ! Tout est inscrit dans le registre des évènements. Lui criais-je en sortant du commissariat au pas de course.
Je dois me dépêcher si je ne veux pas rater mon train. Il me tarde de m’installer devant mon ordinateur et transcrire mes écrits de cette nuit. Cette fois, j’ai peut-être le début d’un vrai polar.
J’étais là sur le quai de la gare, assis sur un banc attendant le train qui devait me ramener à la maison quand je la vis. Elle parlait comme je l’avais imaginée, comme je l’avais habillée ; comme mon esprit créatif l’avait conçue : Le personnage de mon roman s’agitait là, sous mon regard ébahi.
Stella, mon héroïne, avait une trentaine d’années. Fluette, et pas plus grande que ma petite sœur de quatorze ans (fruit d’un second mariage de mon paternel). Ses longs cheveux bruns et bouclés dansaient sur son dos à chaque pas, tant elle est fougueuse. Son jean étriqué dévoilait des abdominaux plats et musclés à faire pâlir de jalousie toutes les gymnastes et influenceuses de la terre. En son nombril un brillant scintillait et attirait le regard admiratif des hommes qui croisaient son chemin. Son petit haut en coton blanc avait dû rétrécir au lavage. Il descendait à peine plus bas que son soutient gorge qu’on devinait dès qu’elle bougeait ses bras. Si son corps était remarquable que dire de son visage ? Il ne passait pas inaperçu tant il était plaisant à regarder. En forme de cœur, deux grands yeux bleus l’éclairaient. Les deux fins sourcils étirant mollement leurs arcs et les deux lèvres charnues et roses encadraient un petit nez dit « à la Parisienne. »
Mais allait-elle comme dans mon polar se transformer en Walkyrie vengeresse ?
Allait-elle sortir de son sac qu’elle balançait à bout de bras un revolver et menacer l’homme de noir vêtu ?
Allait-elle s’approcher de lui à grands pas et le faire tomber à terre en lui présentant sa carte de Police ?
Allait-elle lui dire froidement « Lieutenant Larousse de la Brigade Financière. Vous avez le droit de garder le silence. Vous avez le droit d’avoir un avocat… »
Soudain, un grondement fend l’air. Le train entre en gare. Je sursaute. Stella… Elle se précipite en avant. Mais pas vers l’homme en noir. Vers une vieille dame qui descend du train, juste en face de moi.
- Ma chérie ! Que je suis contente de te voir, Astrid ! S’écrie cette dernière en écartant les bras pour l’enlacer.
- Moi aussi grand-mère. Allez viens, la voiture est au parking. Donne-moi ton bagage. Bonjour Monsieur Larousse, me dit-elle en croisant mon regard, belle journée n’est-ce pas ? Où en est votre roman ?
- Mon roman ?
- Oui celui que vous aviez commencé à écrire et dont vous m’aviez parlé l’autre jour.
- Euh ! Il prend forme… Répondis-je un peu perdu.
Ai-je déjà rencontré Stella-Astrid ? Ou bien… l’ai-je vraiment inventée ? »
Consigne d’écriture : Intégrer cette phrase dans votre texte : « J’étais-là sur le quai de la gare, assis (e) sur un banc attendant le train qui devait me ramener à la maison quand je le (la) vis. Il (elle) parlait comme je l’avais imaginé (e), comme je l’avais habillé (e), comme mon esprit créatif l’avait conçu (e) : le personnage de mon roman s’agitait là, sous mon regard ébahi… »