
Au petit matin, Hugin prend son envol, il monte haut dans les nuées bouillonnantes annonçant la prochaine tempête. En s’élevant, il ne quitte pas des yeux la belle jeune femme endormie entre les bras de son amant sur la couche de mousse de la forêt des Mystères. Tous les deux sont dévêtus, seul un grand châle aux couleurs chatoyantes cache leur nudité aux yeux du voyeur volant.
Il doit parcourir les neuf mondes, voir, entendre tout ce qui se passe là et là-bas ; il doit ressentir les soubresauts des uns et des autres puis revenir informer, dès le lendemain, son Dieu Odin.
A l’heure bleue matinale, seul le vent dans les ramures fait entendre sa voix, tous sont encore assoupis, mais bientôt l’Orient s’allumera et la vie renaîtra avec tous ces tracas et fracas.
Profitant de ce calme avant le déchaînement des humeurs et des armes Hugin dessine des arabesques et des spirales dans les cieux. Il est anxieux pour l’avenir.
Il s’échappe de ce monde incertain et cherche refuge dans le labyrinthe de la pensée méditant sur lui et ses devoirs.
Hugin le messager d’Odin renonce alors à ces jeux de haute voltige et se laisse tomber sur la
Forêt du Landwidi. Il y trouve une charmante cascade qui murmure entre les pierres érodées et les mousses détrempées. Il s’y désaltère et se met à réfléchir.
Qui suis-je ?
Je suis l’animal prophétique par excellence. En Chine, également perçu comme l’oiseau solaire, je symbolise la gratitude et l’amour familial. Au Japon je suis le messager divin. En Grèce je suis associé à Apollon. Dans la Genèse de la Bible, c’est moi que Noé me charge d’aller voir si la terre émerge des eaux après 40 jours de déluge, mais malheureusement ce sera la colombe qui rapportera la bonne nouvelle. D’animal prophétique dans les légendes celtiques je suis devenu animal sacré chez les Gaulois. Dans les peuples nordiques, moi Hugin je symbolise l’esprit et Munin mon frère la mémoire. Nous sommes les fidèles alliés d’Odin, ses oreilles et ses yeux. En Amérique Centrale, chez les Mayas je suis le messager du Dieu de la foudre et du tonnerre.
Que dois-je faire ?
Je dois parcourir les neuf mondes, c’est un fait et je dois en rapporter les moindres frémissements au Grand Odin. Père de tous les Dieux, des hommes et des morts, Maître des runes. Odin Dieu de la guerre, plus exactement je dirai de la victoire. Grâce à mes confidences, sans oublier celles de Munin il prendra la décision la plus sage pour sauver ce monde fait de chaos.
Alors il me faut oublier ma lassitude et reprendre ma quête.
Hugin secoue sa tête et gonfle ses plumes d’un noir brillant aux reflets irisés bleutés. Il lève son bec en forme de poignard vers les cieux leur demandant de lui accorder force et courage. Il fait quelques pas sur la pierre plate qui borde le cours d’eau et s’envole en croaillant. Ses battements d’ailes longues et étroites sont courts et raides mais puissants, il les entrecoupe de vols planés en poussant des croassements rauques, graves et fréquents comme pour signaler son passage et inquiéter l’humain qui peut y voir sinistre présage.
Soudain Hugin voit au loin un important rassemblement d’hommes dans une plaine emprisonnée entre les flancs abrupts des Monts Urolig. Il survole l’endroit et découvre deux armées prêtes au combat qui se défient en hurlant des chants et frappant leurs boucliers faits de bois et de fer. Tout est fureur. Des milliers d’hommes en arme, s’égosillant, se maudissant et s’injuriant prêts à s’exterminer pour un lopin de terre ; pour un Dieu. Il s’en approche pour comprendre qui est qui ? Pour soupeser la chance ou la malchance de telle ou telle armée. Il devra faire son rapport à Odin en toute connaissance de cause.
Tout à coup une douleur le foudroie, il aperçoit une hampe de flèche figée dans son corps ; il se sent défaillir et chuter vers la terre à vive allure.
Pascale sursaute à la sonnerie de son réveil matin « If I had a heart » le thème musical principal de la série télévisée « Vikings ». Inquiète, elle regarde son avant-bras, ; elle contemple son tatouage. Hugin le corbeau il est toujours là, il la regarde comme s’il voulait lui dire : Je suis là et serais toujours là pour te protéger.